Cinématique des fluides (Ép.1)🍿

Les fluides désignent des milieux matériels regroupant, à la fois, les liquides et les gaz. Rien de neuf sous le soleil me diriez-vous ! Pourtant, cette simple remarque n’est pas à prendre à la légère.

Si je vous demandais de me servir un verre d’air, vous serez bien embêté ! Mais, si j’avais besoin d’un stylo pour gribouiller les équations de cet article, alors vous serez ravis de m’en prêter un (enfin, j’espère !).

À ce stade, vous vous demandez certainement où je veux en venir ? La réponse est simple : il est bien plus facile de délimiter les contours d’un solide que d’un fluide. Parfois, les deux coincident mais ça n’est pas toujours si évident (on rappelle que les fluides incluent à la fois les liquides ET les gaz !).

Pour remédier à cette situation alarmante, les physiciens ont recours à une petite expérience de pensée : définir une particule élémentaire de fluide. Un peu comme une brique servant à la construction d’un mur dont les dimensions sont beaucoup (beaucoup !) plus grandes que celles de ses constituants.

De même, cette particule élémentaire est de taille dite infinitésimale. En revanche, celle-ci dispose à la fois d’une surface et d’un volume. C’est d’ailleurs toute la particularité de ce concept physique par rapport au raisonnement du point matériel utilisé en mécanique du solide car la particule fluide peut se déformer et subir des forces de contact.

Une fois le fluide bien défini, on peut à présent se demander comment décrire efficacement son mouvement dans l’espace au cours du temps : c’est le rôle de la cinématique.


Tournez… et action !

Vous l’aurez deviné, l’art du cinéma n’est pas si éloigné de la notion de cinématique et pour cause, les deux termes partagent la même origine grecque signifiant mouvement. Mais nous verrons que les points communs ne s’arrêtent pas là.

En mécanique des fluides, la cinématique désigne l’étude du mouvement d’un fluide et ses conséquences en évitant de s’intéresser à la nature des forces à l’origine de ce mouvement.

La cinématique désigne l’étude du mouvement des objets indépendamment des causes qui le provoquent.

Une manière assez pratique de le faire est de s’intéresser aux vitesses de l’écoulement. Ainsi, on décrira le mouvement du fluide en spécifiant sa vitesse en chaque point et en chaque instant. Mais pour avoir une compréhension complète de l’écoulement, deux méthodes se sont disputées le terrain.

Lagrange V Euler : le duel qui n’a jamais eu lieu

Ces deux méthodes nous viennent directement de leurs auteurs : les mathématiciens suisse Leonhard Euler et italien Giuseppe Lodovico Lagrangia. Pour mieux les comprendre, explorons les séparément.

La méthode lagrangienne

C’est celle qui est utilisée en mécanique du solide. Il s’agit de suivre une particule au cours du temps et de décrire l’ensemble des positions successives qu’elle prend dans l’espace. On définit ainsi une trajectoire de déplacement liée au vecteur position de la particule :

Vous remarquerez qu’il s’agit simplement de ses coordonnées à différents instants.

Ainsi, lorsqu’on étudie le lancer d’une balle, le système caractérisé est évident : c’est la balle en elle-même. Celle-ci peut se déplacer et il est facile de localiser ses positions au cours du temps.

Prenons une analogie visuelle et imaginons une course de voiture. Il existe plusieurs manières de filmer une compétition automobile, l’une d’entre elles se nomme P.O.V (en anglais : point of view ). Il s’agit de filmer la course du point de vue du pilote :

C’est la définition même de la description lagrangienne ! Il s’agit de suivre la particule au cours du temps et de décrire le mouvement du fluide en suivant chacune de ses particules et en déterminant leurs positions et leurs vitesses.

Mathématiquement, la position d’une particule fluide notée M est décrite par ses coordonnées qui évoluent avec le temps :

Les coordonnées x0 et y0 désignent la position initiale de la particule.

Cette méthode est pratique lorsqu’on étudie quelques particules, mais les fluides en sont composés d’un très grand nombre et il est difficile de rendre compte de toutes leurs interactions. De plus, cette méthode rend compliqué le traitement de la présence d’obstacles dans l’écoulement. Par exemple, la condition de non-pénétrabilité d’un fluide dans un solide n’est pas bien définie à l’aide du formalisme lagrangien : une alternative s’impose.

La méthode eulérienne

Une autre manière de voir les choses est de définir un champ vectoriel. On parle alors de champ eulérien.

Dans cette nouvelle méthode, on ne s’intéresse plus à chaque particule prise individuellement mais plutôt à l’ensembles de particules que l’on mesure à un instant donné t : c’est la méthode eulérienne. Dans ce cas, on définit un champ pour évaluer les vitesses de l’ensemble des particules fluides en chaque point de l’espace à un temps t.

Si on reprend l’analogie de la course, il s’agit de considérer une caméra située sur le bord de la route et qui mesure, à un instant, les vitesses de chaque voiture qui passent devant l’appareil.

D’un point de vue eulérien, décrire le mouvement du fluide revient donc à prendre une photo, à un instant donné, de l’ensemble des particules qui le constituent et de connaître, en tout point de cette image, la vitesse de chaque particule.

L’écoulement permanent

La méthode eulérienne est particulièrement adaptée pour décrire les conditions aux limites au niveau d’un obstacle. Par exemple, il suffit de se positionner au niveau d’un point situé sur le contour de l’objet et d’étudier toutes les particules qui passent par ce point.

Un autre point subtil mérite d’être soulevé : celui de l’écoulement permanent.

Une définition mathématique est de dire que cela correspond à un écoulement où la variation temporelle de la vitesse est nulle. Autrement dit :

On parle alors de dérivée locale de la vitesse. Cela ne veut pas forcément dire que toutes les particules fluides ont partout la même vitesse ! Ceci correspond à la définition d’un écoulement uniforme.

Grâce à Euler, nous sommes capable de mieux comprendre cette distinction. Le caractère permanent implique simplement qu’en tout instant t la vitesse de chaque particule fluide de l’écoulement est identique mais elle n’est pas forcément identique d’un point à un autre. Prudence !


Dérivée particulaire et déplacement eulérien

On le voit bien, ces histoires de dispute entre représentation eulérienne et lagrangienne ne sont pas du tout évidentes. Cela peut paraître assez simple de prime abord mais cela requiert une certaine subtilité de raisonnement. Par exemple, comment comprendre la vitesse d’une particule M(x,y,t) dans un écoulement ? C’est le moment d’introduire la notion de dérivée particulaire.

Dérivées locale et globale : qui est qui ?

Reprenons calmement nos esprits.

Imaginons que l’on veuille étudier une grandeur φ attachée à une particule fluide lorsqu’on suit cette particule au cours de son mouvement. Après une durée dt, cette grandeur subit une variation infinitésimale, passant de φ(x,y,t) à φ(x+dx,y+dy,t+dt). Ce changement se traduit mathématiquement par l’usage de la différentielle :

Il est possible de diviser cette même expression par dt, on exprime ainsi une dérivée particulaire de la grandeur φ. On parle même parfois de dérivée lagrangienne, pourquoi ? Parce qu’on suit la particule au cours de son mouvement : c’est la définition même de l’approche lagrangienne !

Notez quand même que l’on distingue deux parties importantes dans l’expression de la dérivée particulaire :

  1. Une dérivée locale : qui correspond à la variation temporelle de la grandeur φ en un point précis.
  2. Une dérivée convective (ou advective) : qui traduit le transport de la quantité φ par le champ de vitesse v.

Visualisons la situation autrement et imaginons que l’on suive un alpiniste au cours d’une ascension montagneuse. Ce dernier se propose volontairement de mesurer la température T au cours de sa montée : il attache donc un thermomètre à son sac-à-dos et s’embarque à l’aventure. Dans ce cas, la température est une grandeur scalaire qui évolue en fonction des coordonnées spatiales (x,y,z) caractérisant la position de l’alpiniste ainsi que du temps t tel que : T(x,y,z,t).

Supposons que l’alpiniste établit un campement fixe à une position donnée : il ne bouge plus. En ce point, il continue tout de même de mesurer des fluctuations de température au cours du temps, il mesure une dérivée temporelle locale. Si cette température ne change pas durant sa nuit au refuge, alors cette dérivée est nulle et le champ de température est permanent. Au contraire, si celle-ci est modifiée au cours de son sommeil, la dérivée devient non négligeable mais elle ne représente que la variation à la position du campement !

Pour avoir une idée de la variation tout au long du chemin il est nécessaire d’introduire la partie convective de la dérivée. C’est à cela que sert la dérivée particulaire !

Les particules fluides ne restent jamais au même endroit ! Il faut donc être capable de suivre ses propriétés au cours de son mouvement, c’est ce que permet de faire la dérivée convective.


Déformation d’une particule fluide

Nous venons de voir qu’en dépit de sa taille infinitésimale, la particule fluide dispose d’une surface et d’un volume élémentaire. Ainsi, au sein d’un écoulement, cette particule peut se déformer. C’est notamment le cas lorsque le champ de vitesse n’est pas uniforme. On dit qu’elle a un mouvement propre : la particule se déplace, change de forme et d’orientation. Mais comment caractériser ses variations ? Eh bien, c’est le moment de retrouver une vieille connaissance évoquée dans notre article sur la viscosité car nous utiliserons le tenseur de gradient des vitesses !

Tenseur et mécanique du point

Reprenons calmement les choses.

Pour bien commencer, nous emprunterons un premier raisonnement propre à la mécanique du solide. On s’intéresse ici à une particule fluide se déplaçant dans le plan. Considérons deux points différents de cette même particule. Il s’agit du point matériel de coordonnées notées M(x,y,t) ayant une vitesse v(M) dans un repère cartésien ainsi que du point M’(x’=x+dx,y’=y+dy) de vitesse notée v(M’).

Schématiquement, la situation ressemble à ceci :

On remarque que le vecteur déplacement est noté dr et que l’on peut exprimer la position de M’ grâce à la relation vectorielle : OM’ = OM + dr.

Il est intuitif de remarquer que la vitesse v(M’) peut s’écrire en fonction de v(M) tel que l’on puisse noter v(M’) = v(M+dr) .

Le déplacement entre M et M’ est donc très petit (on dit qu’il est infinitésimal). On peut donc exprimer la vitesse en ce dernier point à l’aide d’un développement limité du premier ordre autour de (x,y).

C’est ainsi qu’apparaît le tenseur des gradients de vitesse que l’on note G. Il permet de nous renseigner sur l’ensemble des déformations de la particule fluide. Cela n’est pas forcément évident avec le point matériel mais nous verrons, dans ce qui suit, que le tenseur G est une véritable carte d’identité pour la particule fluide.

Différents types de déformation

Au sein d’un écoulement, la particule fluide peut se déformer de plusieurs manières différentes. L’un des déplacements les plus faciles à envisager consiste à se représenter une particule dans un écoulement uniforme : la vitesse n’y change pas spatialement. On observe donc une simple translation de la particule. Dans ce cas, le tenseur G y est nul.

Pourtant, vous vous doutez bien que tous les écoulements ne sont pas aussi simples ! Et il existe quelques cas que l’on pourrait explorer…

  • Contraction-Élongation :

Commençons par supposer une particule fluide de forme rectangulaire (ABCD). Afin de simplifier les notations, nous supposerons un écoulement bi-dimensionnel plan. Pendant une durée dt, celle-ci se déforme tout en conservant sa forme : le volume est donc contraint à se dilater ou à se contracter. Le champ de vitesse est donc de la forme :

Le tenseur de gradient des vitesses G est donc symétrique. Ainsi, connaissant son expression ainsi que la valeur de la vitesse de référence au point A, nous sommes capables de retrouver la vitesse en tout point du rectangle ! Pour cela, on reprend la relation précédente :

Les nouvelles coordonnées du point C’ après déformation peuvent s’obtenir en écrivant la relation : OC’ = OC + u(C).dt. On peut faire de même avec tous les autres points restants de la particule fluide. Ainsi, l’ensemble des déformations du rectangle peuvent se représenter de la manière suivante :

En plus des termes classiques de translation u.dt et v.dt, on identifie de nouveaux termes liés à la déformation linéaire dans les directions de l’espace :

La figure permet de montrer que la particule a bien subi une translation à laquelle s’ajoute une élongation de valeur (du/dx).dx.dt dans la direction x et de valeur (dv/dy).dy.dt dans la direction y pendant un temps dt. On appelle ces quantités des taux d’élongation.

  • Déformation angulaire :

Supposons à présent que le tenseur G soit antisymétrique. Le champ de vitesse associé s’écrit de la manière suivante :

Comme précédemment, on peut calculer les vitesses en chaque point du rectangle et prédire leurs nouvelles positions après une certaine durée dt. La figure ci-dessous permet d’illustrer que la particule fluide subit à la fois une translation, une déformation linéaire mais aussi une modification d’angles qui vient s’ajouter aux observations précédentes.


Ces deux nouveaux angles sont notés :

En fonction des valeurs prises par ces angles, nous pouvons distinguer quelques cas intéressants.

  • Les angles sont égaux :

On obtient dans ce cas, une déformation angulaire pure dans laquelle l’angle (BAD) subit une transformation au cours du temps. On la note :

  • Les angles sont opposés :

C’est le cas de la simple rotation pure. L’angle (BAD) n’est pas modifié mais connaît une rotation de valeur :

On fait apparaître ici une autre quantité : le vecteur Ω dit tourbillon qui traduit la rotationnalité de la particule fluide (c’est-à-dire la propriété du fluide à tourner autour d’un point ou d’un axe comme une toupie).


Pour conclure

Sous ses apparences innocentes, la cinématique des fluides nécessite de maitriser quelques subtilités importantes que j’espère vous avoir convenablement transmises dans cet article.

Décrire un fluide n’a pas toujours été facile au cours de l’histoire des sciences et on comprend, à travers la description des approches eulériennes et lagrangiennes, que cela relevait de l’impossible tant les concepts mathématiques sous-jacents sont relativement modernes et pointus.

Contrairement à la grande majorité des solides, les fluides se composent de particules élémentaires qui peuvent se déformer et subir des déformations : ses particules ont leur mouvement propre qu’il est nécessaire de caractériser. Ceci est d’autant plus vrai lorsque le champ de vitesse n’est pas uniforme. À titre de comparaison, même si la vitesse de l’air peut varier, un ballon de foot ne change pas manifestement de forme. C’est une caractéristique importantes des fluides et c’est bien pour cela qu’intervient le tenseur de gradient des vitesses qui est essentiel afin de décrire les changements subis par le fluide au sein de l’écoulement.

Mathématiquement, ce tenseur peut d’ailleurs se décomposer en une partie symétrique et une partie anti-symétrique. Concrètement, cela veut simplement dire que toute déformation de la particule peut être vue comme une superposition entre une déformation linéaire, une déformation angulaire ainsi que d’une rotation.

Vous comprenez mieux pourquoi ce tenseur est une véritable carte d’identité de la particule fluide !

Wissem
Wissem

Salut tout le monde !
Je m'appelle Wissem et je suis docteur en mécanique des fluides. Passionné par la physique et la vulgarisation scientifique, j'ai créé ce blog afin de partager les phénomènes fascinants que j'explorais au quotidien dans mon travail et mes recherches.
Mon objectif ? Éveiller la curiosité, rendre la science accessible à tous, et créer une communauté d’esprits curieux autour des merveilles du monde scientifique.
Découvrez des sujets aussi étonnants qu’inspirants et plongez dans le monde fascinant des fluides.
Bonne exploration ! 🌊

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