L’équation de Navier-Stokes demeure l’une des plus importantes de la physique. De par son usage très répandu dans diverses disciplines, elle constitue une équation phare qui fascine toujours autant, à la fois les communautés physiciennes et mathématiciennes.
Mais derrière ce voile de fascination, se cache un mystère récalictrant qui continue de défier les esprits scientifiques les plus aiguisés des générations passées et actuelles…
Alors : quelle est l’origine de cet écueil ? Et pourquoi ces équations (qui ont célébré leur bicentenaire l’an dernier !) continuent de poser problème alors même qu’elles restent régulièrement utilisées ?
Navier-Stokes : ça vient d’où ?
En mécanique classique du solide, nous avons d’usage de travailler avec les trois lois de Newton. En particulier, la seconde énoncée en 1687 dans son ouvrage phare des Principia pose le fondement de la dynamique classique.
Celle-ci stipule que toute force exercée sur un objet est égale à sa variation de quantité de mouvement dans le temps soit :
\[\frac{d\vec{p}}{dt}=m\vec{a}=F\]Pour un composant fluide (liquide ou gaz), une légère nuance s’impose car les différents éléments de volume qui constituent ledit fluide sont susceptibles de se déplacer différemment. Il est donc pertinent de raisonner par unité de volume. L’équation de Newton sur la conservation de la quantité de mouvement se réécrit donc :
\[\rho \vec{a} = \rho \frac{d\vec{v}}{dt}= \vec{f}\]L’équation de Navier-Stokes traduit simplement la conservation de la quantité de mouvement énoncée par Newton dans le cas d’un fluide !
Cette équation nous permet donc de prédire le comportement d’un fluide à tout instant. Et c’est bien pratique car on peut l’appliquer sur un ensemble complétement variés de problème allant de la prédiction météorologique (l’app Météo n’aurait pu exister sans) à l’optimisation aérodynamique (même si les secousses en avion font toujours aussi peur !).
Mais afin de déterminer le mouvement d’un fluide il est nécessaire de connaitre son champ de vitesse à tout instant. En physique, on appelle le champ d’une quantité la valeur que prend cette même quantité en tout point de l’espace.

C’est pour cela que l’on dit que l’équation de Navier-Stokes est une équation différentielle dont l’une des inconnues est la vitesse.
Écriture des équations
Nous venons de voir que les équations de Navier-Stokes ne sont qu’une adaptation de la loi de la dynamique fondamentale appliquée aux éléments fluides.
Celle-ci découle donc des principes de conservation de quantité mouvement et permet d’illustrer que la résultante des forces appliquées est égale au produit de la masse par unité de volume et de l’accélération.
Comme on évolue dans un milieu fluide, cette résultante de force est un poil plus compliquée que dans le monde des solides. Physiquement, on la décompose généralement en deux contributions :
- Des forces dites volumiques : ce sont essentiellement des forces qui vont agir sur tout le volume. La gravité en est un parfait exemple : elle s’applique sur chaque portion de l’objet étudié.
- Des forces surfaciques : elles agissent surtout sur les surfaces des objets. La pression est un exemple de ce type de force : l’air qui nous entoure exerce une force répartie sur la surface de notre corps, on parle alors de pression atmosphérique.
Dans une grande majorité de cas, les fluides sont soumis à une force volumique systmatique, la gravité , et deux forces surfaciques classiques : la pression et la viscosité . On peut comprendre la viscosité comme étant l’équivalent des forces de frottement pour les solides. Chaque portion de fluide en contact avec une autre portion entre en frottement avec cette dernière.
\[\rho \frac{D\vec{v}}{Dt} = \rho \frac{d\vec{v}}{dt} + (\vec{v}\cdot\nabla)\vec{v} = -\nabla \vec{p} + \nu \Delta \vec{v} – \vec{g}\]Défis techniques
Pour les mathématiciens, la complication vient du terme non-linéaire (second terme du membre de gauche).
Pour les habitués d’équations, on dit que ce terme est quadratique car il évolue comme le carré de la vitesse (il suffit de développer le calcul de la divergence pour s’en convaincre). C’est cette non-linéairité qui complique la résolution de l’équation.
Idéalement, pour une grande collection d’équations, on est capable de trouver des solutions simples en les combinant entre elles (on parle de combinaisons linéaires). Mais dans le cas d’une non-linéarité, les effets ne s’ajoutent pas facilement. Une petite variation de la vitesse du fluide peut causer des effets totalement disproportionés dans son écoulement qui devient imprévisible.
Or un comportement imprévisible et chaotique est la caractéristique principale d’un écoulement turbulent. Le physicien français J. Boussinesq parlait d’écoulements tourbillonnants et tumultueux.
La turbulence est la manifestation physique de la non-linéarité mathématique.
Problèmes d’existence et de régularité
Comme nous l’avions déjà évoqué, le but des équations de Navier-Stokes est de prédire et caractériser le comportement d’un fluide. Ceci implique d’être capable de décrire à la fois des écoulements de fluide organisés, que l’on appelle écoulements laminaires mais aussi des écoulements turbulents.
Ces deux écoulements sont totalement opposés : les écoulements laminaires décrivent des fluides qui se déplacent régulièrement et de manière ordonnée (ex : quand on ouvre son robinet, le filet d’eau est droit et chaque particule se déplace sur un chemin parallèle à l’autre). Les écoulements turbulents sont chaotiques et désordonnés (ex : en brassant son café le matin, on crée de nombreux petits tourbillons issus de turbulences produites en mélangeant rapidement).
Dans la pratique, nous savons que l’on peut passer d’un type d’écoulement à un autre. Typiquement, on peut comprendre que plus on remue et mélange notre café rapidement plus on a de chance de passer d’un écoulement parallèle à un écoulement tourbillonnaire. En augmentant la vitesse, on peut donc entre en régime turbulent. Néanmoins, mathématiquement, nous sommes incapables de prédire cela ! Admettons que l’on connaisse une certaine valeur de la vitesse et de la pression, nous ne sommes pas capables de démontrer qu’elles peuvent être solutions laminaires ou turbulentes de l’équation de Navier-Stokes !
C’est pour cela que les chercheurs utilisent souvent des modèles théoriques qui sont en fait des simplifications des équations adaptées aux problèmes étudiés.
Pour la turbulence, on parle par exemple de modèle RANS, et pour les écoulements laminaires, on peut envisager un ensemble d’équations simplifiées comme les équations de Stokes.

Prix du millénaire
Pourquoi cet engouement pour tenter de la résoudre si l’on arrive tout de même à l’utiliser concrètement dans plusieurs situations me diriez-vous ! Pour comprendre, essayon de prendre en exemple.
L’un des premiers problèmes de mécanique classique abordé par les étudiants est le mouvement du pendule simple. L’équation simplifiée décrivant son comportement est donnée par :
\[ \frac{d^2 x}{dt^2} + \frac{g}{l} x = 0\]Cette dernière équation est une équation différentielle linéaire du second ordre où x représente l’angle du pendule avec la verticale et l est sa longueur.
Afin d’en déterminer les solutions, nous pouvons utiliser les conditions initiales du problème :
- L’angle initiale du pendule x(0)
- Sa vitesse initiale x'(0)
Sachant ces conditions, on peut démontrer qu’il existe une solution unique et bien définie pour tout instant entre 0 et l’infini. Malheureusement, ceci n’est absolument pas le cas pour les équations de Navier-Stokes… Nous ne sommes pas capables de montrer qu’elles disposent rigoureusement d’une solution régulière et bien définie unique et ce, en dépit de la connaissance des conditions initiales du problème !
Pour le moment, nous nous contentons de résoudre ces équations de manière numérique en se servant d’approximations qui permettent de mettre en place des solutions approchées dans les situations pratiques.
C’est dans cette optique que la fondation Clay a décidé d’inclure la résolution des équations de Navier-Stokes dans sa liste de problèmes mathématiques du millénaire à résoudre avec 1 million de dollars à la clé !
Si nous pouvions aboutir à la détermination d’une solution générale de ces équations, nous pourrions les résoudre de manière fiable et rapide. Ceci permettrait de prédire avec précision et certitude le comportement des fluides en toute circonstance. Ne plus avoir à se baser sur des approximations constituerait une grande avancée dans le monde de l’ingénierie. Nous pourrions optimiser un grand nombre de dispositifs techniques : en améliorant la trainée des avions, en minimisant les pertes de charge dans les pipelines, en prédisant les courants atmosphériques…etc
Les débouchés sont multiples et elles se rajoutent au prestige mathématique qui découlera directement de la résolution de ces équations : approfondir notre connaissance théorique des non-linéarités et élucider le mystère chaotique et a priori insaisissable de la turbulence.
Si vous rêviez de devenir millionaire : cette équation n’attend que vous !